Communication RSE : Quand la peur du Greenwashing pousse au Greenhushing
Le Baromètre 2025 de l’engagement des marques de Cision, est disponible et met en lumière des états de fait assez paradoxaux lorsqu’on prend un peu de recul. En effet, les responsables Marketing et Communication (MarCom) sont partagés : d’un côté il y a la nécessité pour une marque de s’engager – au sens RSE du terme-, car cela impacte les performances marketing. Et de l’autre, ils trouvent que les marques font trop de « washing » en utilisant la RSE comme faire-valoir dans leurs campagnes marketing. Cette situation soulève des questions importantes sur l’éthique et la transparence dans la communication responsable des entreprises.
De notre côté – les agences – nos contacts clients qui occupent un poste commercial nous rappellent que pour répondre à certains appels d’offres, les entreprises doivent montrer patte blanche en matière de RSE. Que les acheteurs soient privés ou publics, l’engagement sociétal et environnemental peut peser de 15 % à 20 % dans la note finale attribuée aux fournisseurs potentiels. En parallèle, les porte-paroles RH de nos clients rapportent que de plus en plus de candidats en recherche d’emploi accordent de l’importance aux valeurs des entreprises auprès desquelles ils postulent. Un état de fait confirmé par les résultats du baromètre Cision concernant les profils MarCom, dont 53 % envisageraient de quitter leur poste actuel si leurs missions et responsabilités n’intégraient pas assez les enjeux RSE.
La visibilité de l’engagement RSE est donc un enjeu stratégique qui prend de plus en plus de place. Le besoin d’en parler est réel car cela permet de gagner de nouveaux contrats, d’attirer ou de retenir des talents. Mais, et c’est là que se trouve tout le paradoxe, les journalistes ne « parlent pas » (ou presque) des engagements RSE des entreprises. Est-ce parce que les entreprises n’en font pas assez ? Est-ce parce que, comme les responsables MarCom, les journalistes voient les communications comme des tentatives de « washing » ? Une nouvelle tendance se développerait : le greenhushing, totalement à l’opposé du greenwashing. C’est Emmanuelle Olivié-Paul, fondatrice d’Advaes et analyste spécialisée dans les études stratégiques dédiées aux enjeux RSE, qui m’en a parlé il y a quelques mois et j’ai voulu creuser le sujet.
Du Greenwashing au Greenhushing
Qui n’est pas familier avec le terme « Greenwashing » ? Depuis août 2021 et grâce à (ou « à cause de ») la loi Climat et Résilience, le greenwashing est inscrit dans le code de la consommation comme une pratique commerciale trompeuse, au même titre que les arnaques financières ou les mensonges sur l’origine d’un produit. Lancer une campagne de publicité ou de marketing basé autour d’actions RSE en utilisant des mots « vagues » sans réels éléments de preuves est donc répréhensible. Plusieurs ONG ont d’ailleurs engagé des poursuites judiciaires à l’encontre de grandes marques. Le risque n’est donc plus que réputationnel mais aussi judiciaire et financier. De là à penser que c’est une raison suffisante pour faire du Greenhushing…
Qu’est-ce que le Greenhushing alors ? Si le Greenwashing implique de diffuser de fausses affirmations ou d’exagérer des efforts écologiques, et bien, le Greenhushing consiste lui à ne pas mettre en avant les initiatives RSE de l’entreprise, de fait, cela permet d’éviter d’attirer l’attention sur lesdites actions. Il s’agit par exemple, de minimiser délibérément l’impact de leurs politiques environnementales positives et actions à caractère sociétal, voire de les occulter complètement dans leur communication. Cette pratique va à l’encontre des principes de durabilité́ et de transparence que prônent les organismes comme l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) mais aussi des obligations légales des entreprises. D’ailleurs, pour aider les entreprises à communiquer sur le sujet, l’ADEME a édité un guide pratique à leur attention.
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L’entreprise qui choisit donc de communiquer sur ses actions RSE se met-elle dans une situation dangereuse ? Le jugement des clients et des consommateurs est perçu comme une épée de Damoclès. Si les résultats de leur politique RSE ne sont pas suffisants aux yeux des juges, le couperet risque de tomber. Et quel couperet ! Les risques existent : se faire « cancel », faire face à une attaque en justice, devoir gérer le boycott du public, etc. Ces craintes pousseraient certaines entreprises au « greenhushing », préférant rester discrètes sur leurs efforts en la matière.
La RSE : un investissement humain et budgétaire
Produire des rapports RSE représente un investissement pour les entreprises. Depuis 2010 et la loi Grenelle II, certaines sociétés ont l’obligation de publier un rapport RSE, mais n’importe quelle entreprise peut volontairement en établir un si elle le souhaite.

RSE : une stratégie de communication à construire avec tous les départements de l’entreprise.
Je me souviens qu’au début de ma carrière, de plus d’une dizaine d’années maintenant, il est arrivé qu’on me demande de rédiger un communiqué de presse pour annoncer la publication d’un rapport RSE. L’entreprise souhaitait mettre en exergue sa bonne volonté à travers une sélection de certains objectifs qui montraient les efforts fournis. A l’époque c’était tout nouveau, et les clients MarCom tâtonnaient encore pour exploiter tout le potentiel des contenus à leur disposition. Si certains clients ont entendu que l’approche n’était pas idéale, d’autres ont préféré ignorer nos recommandations et diffuser tout de même l’annonce aux journalistes. Malheureusement, comme on pouvait s’y attendre, les résultats ont été déceptifs. Et c’est là qu’arrive la frustration aussi bien pour les clients, car ils ont investi du temps et du budget, que pour les consultants en relation presse (RP). Car, si les consultants RP ont une « obligation de moyens » et pas de résultats, nous préférons tout de même que les résultats soient au rendez-vous, bien que cela ne dépende pas entièrement de nous. Car, les Third party AKA les journalistes, jouent un rôle crucial pour relayer les initiatives mais surtout filtrer les informations.
Les journalistes VS la communication RSE
Les journalistes sont aux premières loges pour voir la diversité de ce que font les grandes entreprises, les PME et les startups. Si certains d’entre eux sont spécialisés dans les sujets RSE, tous peuvent d’une manière ou d’une autre l’évoquer en fonction de l’angle abordé ou du secteur d’activité qu’ils couvrent.
Pour cet article de blog, je suis donc allé les interroger (nous avons inversé les rôles pour une fois). Je leur ai demandé leur avis sur la communication RSE des entreprises : comment ils la perçoivent, ce qu’ils voudraient recevoir de la part des entreprises en la matière, s’ils ont l’impression de faire du greenwashing en relayant des infos reçues dans un communiqué de presse et enfin, s’ils perçoivent la tendance du Greenhushing dont certains parlent.
Je précise qu’il ne s’agit pas d’une étude qualitative complète, mais du recueil des impressions d’une poignée de professionnels avec qui nous avons des relations privilégiées.
Relayer ou ne pas relayer : quelle est l’information ?
Pour rappel, les journalistes reçoivent entre 100 et 500 mails quotidiennement. Certains sont bien ciblés, d’autres non. Et souvent, lorsqu’une information ne se retrouve pas dans un article, c’est qu’ils (les journalistes) ne trouvent pas le sujet assez intéressant dans l’immédiat, pertinent pour leur média ou assez innovant pour y consacrer du temps et de la place dans leurs colonnes.
« Je reçois un certain nombre de communiqués sur le sujet, que je ne relaie pas…Car la plupart du temps ils sont hors thème pour le site », explique Juliette Paoli rédactrice en chef de Solutions Numériques.
Pierre Mangin, journaliste spécialisé en technologie et environnement, se souvient :
« La communication RSE ça a commencé en 2005 et c’était souvent de l’enfumage intégral, avec des promesses de neutralité carbone en quelques années, avec plantation d’arbres à l’autre bout du monde et quelques panneaux solaires. Puis vers 2008 une première crise est survenue et les budgets ont été réduits. La RSE n’était plus prioritaire. Avec la Covid, c’est redevenu un sujet notamment avec les questions de transport mais la guerre en Ukraine a de nouveau freiné les dépenses des entreprises depuis deux ans. L’environnement passe désormais au 5ème plan, car ça coûte. »
« Faire un CP pour dire qu’on respecte la loi, juste pour s’adresser aux marchés publics, ce n’est pas de l’info », rappelle Guillaume Périssat, journaliste spécialisé dans les sujets IT et cybersécurité.
Une pigiste spécialisée dans les sujets entreprise / RSE, qui souhaite rester anonyme, et que nous nommerons ici BL, nous confie :
« Sur les 500 mails que je reçois quotidiennement, je dirais que plus de 10 % (estimation au doigt mouillé) concerne la RSE, le développement durable, les labellisations d’entreprises. » Elle précise également : « Quel que soit le sujet (RSE ou autre), je ne relaie jamais une information extraite d’un CP, sans avoir au préalable interviewé un porte-parole de l’entreprise. »
Mathilde Golla, journaliste spécialisée environnement et RSE ne constate pas vraiment de diminution dans le nombre de communication :
« Je reçois environ 500 communiqués et sollicitations par jour de la part des entreprises. Evidemment, je ne relaie jamais un CP tel quel, mais lorsque les informations reçues me semblent révélatrices de tendances plus globales ou de signaux faibles, elles retiennent mon attention. La condition est toujours d’avoir un point de vue contradictoire, grâce aux ONG et aux spécialistes car nous sommes journalistes pas experts ! »
Ne pas devenir complice de Greenwashing
Il y a une autre crainte latente : celle d’être accusé de devenir complice d’une campagne de greenwashing.
« C’est la raison pour laquelle je sollicite des interviews seulement auprès des entreprises qui me semblent sincères et matures sur les sujets de la RSE, du développement durable, de la décarbonation, de la sobriété énergétique, de l’économie circulaire. » explique BL.
Un sentiment partagé par Mathilde Golla :
« Oui, je redoute toujours d’être face à une opération de greenwashing, surtout lorsque l’info vient d’une grande entreprise pas reconnue pour son engagement. On est tout de suite un peu plus vigilant que si l’information venait d’une PME. »
Pierre Mangin raconte aussi : « Aujourd’hui, sur la centaine de mails que je reçois quotidiennement, la moitié évoque la RSE, mais c’est parce que c’est une obligation légale. L’une des questions qui se pose, c’est si les entreprises le font par sincérité. » Il précise aussi : « Dans mes articles et grands dossiers, je ne reprends pas les CP mais je prévois toujours un volet sur l’aspect RSE du sujet que je traite. En tant que journaliste, lorsqu’on reçoit des informations, notre rôle c’est de compter les points et dire ça c’est bien, ceci l’est moins. Certaines grandes entreprises ont dû faire face à des accusations de greenwashing, ça leur a mis un coup mais elles n’ont pas fermé pour autant. »
Il a d’ailleurs vu une décision de greenhushing alors même que ce n’était pas une tendance à l’époque.
Il se souvient : « J’avais travaillé sur un grand dossier d’un fabricant d’imprimantes. Ce qu’ils faisaient c’était sur le papier …vraiment bien, mais l’ARPP qui se nommait le Bureau de vérification de la publicité à l’époque a demandé des précisions et justifications auxquelles l’entreprise n’a pas su répondre tout de suite. Faire les recherches, remonter le cycle de vie avec l’impact CO2 coutait trop cher, trop de temps ; donc ils ont préféré annuler toute la campagne ».

RSE : Faire les bons choix en matière de stratégie de communication.
Les petites actions ponctuelles peuvent aussi être perçues comme du greenwashing même si c’est souvent involontaire.
Mathilde Golla constate : « Je reçois souvent des CP d’entreprise pour évoquer des actions qui n’ont rien à voir avec leur activité, comme un team building consistant à aller nettoyer une plage. C’est typiquement une action sans intérêt pour nos lecteurs et qui ressemble à du greenwashing même si c’est involontaire. »
Communiquer sur ses actions RSE : comment ?
Alors que faut-il faire pour que les journalistes reprennent vos informations dans leurs articles ? Et bien au-delà des recommandations de base que votre agence comme TEAM LEWIS vous fera, ou des recommandations que vous pourrez consulter sur le site de l’ADEME ou de l’ARPP, voici quelques conseils concrets :
« En B2B ce qui serait vraiment intéressant, c’est que les entreprises qui revendiquent le fait qu’elles réduisent leur empreinte carbone rentrent plus dans la technique. Qu’elles expliquent vraiment comment elles ont réussi à atteindre leurs objectifs. » rappelle Guillaume Périssat.
Mathilde Golla, qui écrit pour un quotidien grand public, aimerait « que les entreprises arrêtent de brasser des concepts creux et évoquent davantage des actions concrètes directement liées à leur activité, qu’elles mènent parfois sans le savoir. C’est là où le regard extérieur des agences prend tout son sens puisqu’elles permettent de faire le tri et de mettre en avant les sujets plus intéressants, parfois invisibles aux yeux des entreprises ». (NDRL : merci madame J !)
BL aimerait que les entreprises « communiquent sur les résultats plutôt que sur les objectifs. »
Pierre Mangin, lui, précise :
« Aujourd’hui, un entrepreneur sur deux a compris que c’est important et stratégique ; il en reste encore la moitié qui ne se sent pas ou pas vraiment concerné. Les entreprises devraient être plus sincères, plus transparentes en publiant leurs tableaux de progression année par année. Il faut reconnaître qu’ils s’agit de s’engager dans une démarche de longue haleine, souvent compliquée, parce que pour un industriel, ce n’est pas possible de passer au tout électrique du jour au lendemain et que la transition prend du temps et ça demande du courage. Les entreprises qui seront parmi les premières à le dire seront d’autant plus louables et je serai le premier à le reconnaître tant qu’elles sont sincères dans leurs déclarations. »
Encore une fois, loin d’être exhaustifs, ces témoignages soulignent l’importance pour les entreprises de développer une communication, basée sur des actions concrètes, authentiques et mesurables. Si vous voulez communiquer sur une action de reforestation, pour reprendre un exemple évoqué avec Pierre Mangin pendant notre échange, il ne s’agit pas de communiquer seulement sur le nombre d’arbres qui ont été plantés ou le nombre de collaborateurs qui ont participé à l’opération. Non, il faut rentrer dans le détail : Pourquoi planter à cet endroit ? Quel type d’arbre ? Pourquoi ce type d’arbre et pas un autre ? Quel âge avaient-ils ? Où ont-ils grandi ? Combien de kilomètres ont-ils parcouru entre l’endroit où ils ont poussé et le lieu de leur plantation ? Quels moyens de transport ont été utilisé pour les déplacer ? Que peut-on attendre de cette action ? A quel terme ? Est-ce une action ponctuelle ou récurrente ? Êtes-vous sûr qu’une autre branche de votre groupe n’est pas, elle, responsable de la déforestation d’une autre zone sur la planète ? Et il y a encore plein d’autres questions à se poser pour arriver à la rédaction d’un article. Pour vraiment faire écho auprès des journalistes et de leur lectorat, il faut donc rentrer dans les détails, être dans la vérité et la sincérité.
Parler de RSE sans utiliser le terme consacré
Un autre point sur lequel je souhaite attirer votre attention, c’est une phrase que m’a dit Mathilde Golla au début de notre échange :
« Le terme RSE est un peu éculé, il faut montrer ce qui se cache derrière les concepts un peu flous », « pour éviter les polémiques et aussi être davantage lus on en vient aussi à se dire qu’il faut parler d’écologie sans le dire. »
Comment parler de RSE sans dire le terme ? Et, est-ce que chercher une façon de le faire ne reviendrait pas à chercher un moyen de tromper le lecteur ou le spectateur ? Quid du SEO s’il s’agit d’un texte sur votre site internet ? Nous voilà revenu partiellement à l’une des conclusions du baromètre Cision concernant les profils MarCom. De prime abord, les sujets de RSE ne devraient pas être porté par les services MarCom mais par une personne dédiée, et pourtant cela fait partie des missions et responsabilités qui leurs tiennent à cœur. Voilà donc un nouveau défi que les communicants doivent relever.
Une chose est sûre, nous sommes aujourd’hui dans une des périodes les plus compliquées et qui exige beaucoup de créativité. Si tout n’a pas encore été inventé, il faut reconnaître que pour garder le rythme face au génie humain, il faut déployer des efforts considérables et redoubler d’imagination. La réponse semble toute trouvée : l’IA générative. Mais alors, une autre question se pose : peut-on rester légitime sur le sujet de la RSE lorsqu’on sait qu’utiliser un moteur d’IA générative consomme jusqu’à 30 fois plus d’énergie qu’un moteur de recherche classique ?
En toute transparence, j’ai tenté d’améliorer le score SEO de cet article en utilisant un outil d’IA générative une fois. Le résultat n’était clairement pas à la hauteur de mes attentes, tout à coup il y avait trop de répétitions inutiles et je ne voulais pas perdre mon lecteur. D’aucun dira que c’est parce que je n’ai pas donné le bon prompt. Oui, c’est une certitude, mais pour rester en phase avec mon projet d’article, je n’ai rien gardé des suggestions de l’outil, je peux donc dire que cet article a été écrit par un humain (NDRL : pour les illustrations, c’est une autre histoire).